Les contes de Mamé

 


A la ferme



Le Puy Baron, notre maison, à proximité d’une métairie nous offrait la possibilité de participer à tous les travaux d’une ferme. Après la fenaison et la moisson il y avait une activité que nous aimions beaucoup. Dans la chaleur de l’été arrivaient des jours de calme, comme gonflés de promesses, comme rassasiés d’abondance.

Raymond le métayer aidé de son frère le taciturne Rico, célibataire endurci, chargeaient le tombereau avec les lourds sacs de grains. Alors commençait l’expédition pour se rendre chez le meunier. Nous en étions évidemment. Raymond nous aidait à rejoindre sa fille Paulette sur les sacs entassés.

Tout d’abord, tandis que le lourd attelage tiré par de belles vaches limousines à la robe rousse cheminait sur les petites routes campagnardes, nous chantions à tue-tête « qu’il fait bon dans ton moulin Maître Pierre » etc… Puis le temps passant, nous nous couchions sur les sacs et muets, restions absorbés par la révélation du ciel au-dessus de nos têtes. J’aimerais faire partager cette houle de sentiments qui prenaient possession de nous.

Allongés à environ trois mètres du sol, pas forcément dans le sens de la marche, nous perdions toute notion terrestre, aucun repère n’existait plus, nous faisions partie d’un autre élément, aérien, velouté, silencieux…

Le bleu du ciel où s’étiraient, se gonflaient ou galopaient des nuages blancs, tenus, ou imposants, légers ou menaçants, semblait nous envelopper et nous admettre en son sein. Nous étions comme aspirés dans un infini peuplé de créatures étranges en état d’apesanteur. Nous-mêmes, bercés par le balancement du tombereau, perdions conscience de notre réalité humaine pour nous fondre dans cet univers fantastique que rien ne venait troubler, hormis le vol gracieux d’un oiseau parfois dont c’était le monde…

Notre année suivait ainsi le calendrier des fermiers, le temps se mesurait à l’aune de leurs travaux, et les saisons au visage riant ou sombre de la nature. Pourtant, vrais campagnards mais faux paysans, nous étions confrontés avec la réalité qui nous choquait parfois.

Voir tordre le cou de certaines volailles que nous connaissions, des lapins fourrés au nez frémissant, des canards curieux et un rien comédiens nous blessait. Les pintades dans leur dégradé un peu précieux de gris argenté, les gros dindons secouant leur « fraise » plissée rouge, et les jars bruyants, sifflants, le col allongé, agrémenté d’un bec pinceur un rien sadique nous interpellaient.

Ces problèmes nous amenèrent à quelques actions d’éclat afin d’intervenir pour nos animaux. Pour notre cochon offert par un client « grassouillette » 2eme ou 3eme du nom nous avons prononcé sa libération. Aussitôt la porte de sa soue ouverte, la jeune truie prit ses pattes à son cou et entreprit une excursion ravageuse dans les champs et jardins de la commune.

Quand vous saurez que par décision humanitaire, notre gagnou n’avait pas de fer au groin pour l’empêcher de fouir (ce qui était le cas de ceux des paysans), vous imaginerez la campagne dévastatrice qu’il mena… Papa dut régler quelques notes salées à ses concitoyens et clients. Cette année là le prix du cochon familial souffrit de l’inflation ! Une autre fois, afin de préserver l’espèce des palmipèdes, nous avons donné congé aux canards. Il y eut quelques cris et menaces quand Marissou aperçut le canard à l’orange prévu frétillant et cancanant au milieu de la mare !

Je dois dire que nous n’étions pas seuls à exercer nos talents à ce propos. Méric le petit fils de la baronne en vacances au château voisin, alla visiter les lapins du domaine. Voulant leur caresser le museau, il passa un doigt à travers le grillage et un gros mâle le mordit ; une décision s’imposait. Un peu plus tard, le garçonnet alla rendre compte à son aïeule : « grand-mère, vos lapins sont méchants, ils m’ont  mordu, mais ne craignez rien, je les ai bien punis, j’ai ouvert leurs portes et je les ai tous chassés ».


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