LA BLESSURE
(août-octobre 1944)
 
 
Épuisé, affamé, j'ai rejoint les lignes, retrouvé ma compagnie et aussi le lieutenant qui nous avait constitués en arrière-garde et ordonné de combattre jusqu'au dernier.

Il me questionna, sceptique sur ma capacité à revenir seul, après tant de jours de marche et une blessure soi-disant grave.

Après m'avoir ordonné de défaire mes bandages, il sortit son revolver et me déclara froidement qu'il m'abattrait séance tenante, dans le cas d'un simulacre, pour désertion devant l'ennemi. A la vue de mon bras fracassé, il eut probablement un remords, car il me fit amener à l'hôpital de campagne, replié loin derrière le front.

J'y fus nourri, soigné mis dans le premier train sanitaire.

C'était le convoi de la misère humaine. Grands blessés, amputés, certains râlaient, nous savions qu'ils nous quittaient.

La notion du temps avait à nouveau disparue. Le train roulait lentement, s'arrêtait longuement pour repartir insensiblement d'où il était venu.

Après plusieurs jours de ce va et vient, un hôpital de Prusse marqua la fin provisoire de mes pérégrinations.

Bien soigné par les médecins, dorloté par les infirmières, je commençais à revivre et à mettre entre parenthèses les épreuves passées.

Les hôpitaux étaient surchargés par l'arrivée massive de blessés graves, autant militaires que civils. Les bombardements alliés faisaient des ravages.

Je fus donc renvoyé à mes foyers en septembre 1944 pour soins ambulants à l'hôpital local.

Par rapport à beaucoup d'autres n'étais-je pas à envier malgré tout?... J'étais sorti d'une situation désespérée avec une blessure qui une fois guérie, et après rééducation me permettrait de retrouver l'usage entier de ma main. J'avais dix-huit ans, j'étais parmi les miens, persuadé que la guerre était derrière moi.

Entre-temps, les alliés avançaient rapidement et se rapprochaient de Strasbourg.

Le moral retrouvé, une certaine joie de vivre, l'affection des miens, eurent certainement une influence bénéfique sur ma blessure qui guérissait à vue d'oeil.

Je commençais à être inquiet, et pour cause. Le Reich, saigné à blanc, enrôlait jeunes et vieux à tour de bras. Des commissions médicales, issues des S.S. vidaient les hôpitaux. Impitoyables, elles renvoyaient au front tous ceux qui pouvaient marcher et tenir un fusil.

La libération de Strasbourg devenant imminente, j'appris mon prochain départ pour un hôpital en Allemagne. Ma main recroquevillée en griffe nécessitait des soins médicaux, je n'ai pu prendre le maquis et dû me résigner à reprendre le chemin du IIIème Reich.

Après l'euphorie c'était à nouveau l'accablement.


      © France TARDON/APPRILL