17 février 1943
(départ pour le service de travail du Reich)
 
 
Désespéré, mon père, cet homme tendre, a été forcé d'offrir son fils de dix-sept ans pour le sacrifice à Wotan, le Dieu de la guerre.

Pourquoi, pour qui?

L'armée allemande reculait sur tous les fronts, les pertes étaient lourdes, la défaite programmée.

Le zélé gauleiter Wagner, gouverneur du pays de Bade auquel nous étions rattachés, a proposé au Fuhrer l'enrôlement des Alsaciens-Lorrains, enthousiastes et prêts au combat pour défendre la mère patrie.

Abjecte et mensongère assertion qui a été entendue, malgré les réticences des généraux allemands qui nous considéraient comme français, non fiables et sans véritable intérêt pour la Wehrmacht.

Rassemblement devant la caserne, boulevard Clemenceau, on piétine.

C'est l'appel. Je quitte mon père qui a les larmes aux yeux. Je suis ébranlé par le chagrin, mais je crâne.

Inconsciente, la jeunesse a une telle confiance dans la vie.

Dans le train qui doit nous emmener, l'ambiance est pesante, la réalité commence à se dessiner, on est collé aux fenêtres, on espère je ne sais quoi.

Les soldats postés sur les quais nous regardent, ils savent ce qui nous attend.

Le train s'ébranle, des drapeaux français apparaissent et soudain, sans concertation, la Marseillaise éclate, immense, vibrante, profonde, désespérée. C'est le cri de nos consciences foulées aux pieds.

Cette première rébellion a été durement payée.

Dès notre arrivée au camp en Bohème la sarabande commence. Brimades, exercices jusqu'à épuisement, contrôles hystériques, réveils nocturnes avec appels. Trois mois de souffrance et de mépris, il fallait casser ces têtes brûlées de français.

Mais force et contraintes n'ont fait que renforcer notre rejet. Apologie du Führer, exaltation du soldat allemand, héroïque dans sa lutte contre le communisme...

Telles étaient les thèmes récurrents de notre instruction. Démobilisés au mois de mai, le prologue était terminé. Nous savions maintenant.

Les choses sérieuses allaient commencer à la Wehrmacht.

      © France TARDON/APPRILL