Les contes de Mamé

 


Des animaux et des aïeux



La petite fille de Mamé s’appelle Ann-Kathrin, elle vient d’avoir 9 ans, et c’est elle qui a réalisé les dessins pour ces petits contes. Ann-Kathrin s’intéresse à la famille. C’est étrange pour elle d’imaginer Sophie, sa maman, comme le bébé de Mamé. Mais que Mamé ait été une enfant un jour lui semble encore plus bizarre.

Alors un après-midi pour mettre des noms et des visages sur tous ces aïeux nous avons pris l’album de photos pour faire connaissance avec eux.

C’est ainsi qu’elle a découvert la grand-maman maternelle de Mamé, appelée Gama. C’était plus facile à dire que grand’mère pour Mamé quand elle était une petite fille. Comme Ann-Kathrin étudie le piano sur celui qui appartenait à Gama, elle a voulu savoir où vivait Gama quand elle étudiait aussi le piano, qui était ses parents, ce qu’ils faisaient, où ils vivaient…il y a environ cent vingt ans.

Cent vingt ans ! Pour Ann-Kathrin cela semblait si loin… Alors Mamé lui a raconté ce que Gama lui avait dit quand elle aussi était petite. Gama habitait avec ses parents Joseph G. et Lucia à Mulhouse. Il y avait également la grande sœur et le petit frère de Gama : Victoire dite Ratty et Georges. Les parents avaient un grand magasin de musique où ils vendaient tous les instruments : pianos, violons, saxophones…etc. Le piano d’Ann-Kathrin vient de là, de chez son arrière-arrière-arrière-grand-père !

Leur maison était sur la place de la mairie de Mulhouse. C’était une famille unie, l’ambiance y était animée et généralement gaie. Ils avaient divers animaux familiers tortue, perroquet, chat, chien qui participaient à la vie familiale.

Georges avait une tortue Tilda qui s’entêtait à vouloir se glisser sous le piano sans succès car il n’y avait pas la place. Mais Tilda s’obstinait, elle reculait et repartait à l’attaque pour passer sous le piano. Elle est restée plus d’une fois coincé ! Les égratignures encore visibles sur le bois laqué noir sont les marques laissées par le bec rageur et les chocs de la carapace de Tilda.

Coco le perroquet sifflait, imitait à la perfection le tambour et parlait. Il savait très bien répéter le surnom de la sœur de Gama, Ratty. Aussi quand il la voyait s’exclamait-il : Raaatty, Raaattele ! Et lorsqu’il voulait quelque chose à grignoter il roucoulait Ratêttele ! Il avait un ennemi intime le chat Fritzele – pourquoi ? Peut-être la jalousie. Tous les matins Joseph le père de Gama prenait son petit déjeuner dans la salle-à-manger. Il aimait entre autres commencer par un œuf à la coque.

Fritzele, était autorisé à s’asseoir sur la chaise voisine de la sienne, et crime particulier aux yeux de l’oiseau, Joseph lui donnait le chapeau de l’œuf et une petite « mouillette » de pain trempée dans le jaune d’œuf qu’il dégustait délicatement. C’était un rite matinal qui enchantait les deux compagnons, mais agaçait prodigieusement Coco. Joseph lui adressait pourtant quelques mots affectueux et il avait des graines dans sa mangeoire.

Il n’empêche que l’œil rond de l’oiseau avait des éclairs sombres qui prouvaient sa colère, et sa contemplation morose des graines le confirmait. Le temps passait et Coco n’attendait qu’une occasion pour se venger. Celle-ci se présenta un beau jour. La famille était à la maison, chacun vaquant à ses occupations quand soudain retentirent un vacarme et des cris, des miaulements, hurlements, des sifflements et tambourinades. C’est un pandémonium qu’ils découvrirent en accourant.

Coco mal attaché à son perchoir avait aperçu son ennemi se prélassant sur le tapis et avait volé à l’assaut ! Prenant Fritzele par surprise, il avait atterri sur le dos du chat épouvanté qui courait et sautait dans tout le salon poursuivi par le perroquet qui voulait s’agripper sur son dos. Revenus de son effarement, la famille s’employa avec difficulté à séparer les combattants qui restèrent ennemis jurés.

A cette époque l’Alsace était rattachée à l’Allemagne, il y avait beaucoup de défilés militaires en ville. Coco avait une spécialité : imiter les roulements du tambour. Il aimait observer la place de l’Hôtel de ville sous la fenêtre où l’on plaçait son perchoir. Là, il voyait se dérouler les prises d’armes et relève de la garde avec tambour et musique en tête. Il avait ainsi une source d’inspiration pour ses répétitions. Il était arrivé à une telle perfection qu’un de ses divertissements préférés était d’imiter le tambour dans un roulement assourdissant. Il était enchanté quand la famille s’y laissait prendre, Gama et sa sœur Ratty en tête, qui aimaient la musique militaire et se précipitaient à la fenêtre.

Tom le chien avait un statut important, il était chargé d’aller chercher le journal tous les matins chez le marchand. Rien ne l’aurait distrait de sa mission. Il allait fièrement au magasin où on lui remettait le quotidien qu’il prenait délicatement dans sa gueule et rapportait fidèlement. Un jour funeste un gros chien belliqueux voulut lui voler le précieux trophée. Tom, conscient de ses responsabilités affronta l’adversaire courageusement, le mit en fuite et récupéra son bien qu’il rapporta… en lambeaux ! Ce jour-là les nouvelles furent à trous-trous et Tom chaudement félicité et récompensé.

Tom avait un faible pour les promenades en voiture à cheval assis à côté de son maître, et pour les fêtes foraines. Un beau jour, il fallut se rendre à l’évidence, personne ne trouvait le chien du haut en bas de la maison. Il devint certain qu’il avait dû découvrir une porte ouverte et en avait profité pour faire une escapade.

Aussitôt, tout le monde de courir dans le quartier appelant « Tom ! » « Tomele ! ». Il se trouvait que c’était la période du Messti (foire) et qu’il y avait des manèges installés. Gama et Ratty coururent çà et là entre les manèges. Voyant un attroupement et entendant de grands éclats de rire devant l’un d’eux, elles eurent la curiosité de voir de quoi il retournait. Elles s’approchèrent se frayant un chemin parmi la foule et tout à coup « Oh mon Dieu ! » s’exclamèrent-elles ! Elles venaient d’apercevoir calé sur le siège de velours rouge, la tête haute, fier comme Artaban, leur Tom montant et descendant dans « les chenilles ». Elles restèrent un moment pétrifiées, ne sachant que faire, et lui de tourner au son de la musique, superbe, marquant une souveraine indifférence aux gens qui l’applaudissaient et s’amusaient du spectacle insolite.

Les deux jeunes filles avisant le propriétaire du manège lui demandèrent de l’arrêter pour reprendre leur chien. Et qu’arriva-il ?... Ce dernier enchanté de l’attraction gratuite attirant des clients de les supplier de lui laisser Tom pour quelques tours supplémentaires ! Et Tom profita encore un peu de cette distraction, se raidissant en appui sur ses pattes dans les descentes et se renversant en arrière mollement sur les coussins dans les montées en roulant des yeux éperdus de bonheur. Gama et Ratty en riaient encore bien des années plus tard en racontant cette histoire à Mamé.


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