Les contes de Mamé

 


Des fourmis électriques



Notre Marissou, célibataire d’environ quarante cinq ans, plutôt grande, avec un petit chignon sur la nuque, vêtue de sombre, le visage rond et le regard doux, calme et souriante en général, nous avons été ses chéris et ses terreurs.

A cette époque, nous remplissions sa vie de joies, d’angoisses, de cris et de rires. Elle nous levait le matin, nous préparait pour l’école. Là commençait ses épreuves. Marco tout d’abord refusait de bouger, préférant son lit. Tous les matins elle le houspillait et concluait avec une affirmation étrange «  même en regardant encore le plafond comme ça, tu ne verras pas voler des boudins ! ». Marissou nous contait des histoires du Limousin pleines d’êtres et de bêtes fantastiques qui nous faisaient découvrir des mondes inconnus et étonnants.

Quand nos parents étaient absents, elle était investie de toute l’autorité, enfin en principe, car en fait nous sévissions avec ardeur. Je dis nous, je devrais dire ils, Marco et Puce. Moi étant l’aînée j’étais plus raisonnable, plus responsable, évitant les tours pendables, et essayant de modérer les deux autres, sans grand succès souvent.

Un de ces soirs où nous étions seuls avec Marissou, qui nous avait mis au lit, Marco entreprit le démontage de la lampe de chevet. Je protestai lui prédisant le pire, mais rien ni fit, il continua. Soudain, des étincelles et Marco hurlant et gesticulant… Et moi de crier «  mais qu’est-ce que tu as ? mais qu’est-ce que tu as ??? » « Je suis mouru ! je suis mouru ! j’ai des fourmis qui me courent partout…ah ! aaaahhh ! ».

Je me précipitai sur le palier, clamant « Marissou ! Marissou ! viens vite. Marco il est mort, il a des fourmis partout ! » Marissou sens dessus dessous, accourut voir «  le moribond » encore bien vivant, mais très agité. Dépassée, ne pouvant joindre notre docteur de père, elle téléphona à notre cher pharmacien qui la rassura.

Après tant d’émotion nous nous sommes endormis en priant le ciel que Marissou et le pharmacien ne disent rien ! Pourtant cet épisode « dramatique » ne freina pas l’esprit d’entreprise de notre frère. Peu de temps après la machine à coudre de notre mère justement exerça une véritable attraction sur Marco. Cependant, malgré ses envies d’étudier cette magnifique invention, il était resté sur sa faim : interdiction de toucher à la Singer !

Mais un soir en l’absence des parents partis au diable vauvert mettre un bébé au monde, Marco et Puce firent un raid expérimental. Ils s’étaient bien sûr gardés de m’inviter. J’étais à la cuisine avec Marissou qui faisait « sa » vaisselle, moi j’essuyais avec précaution et application.

Un cri strident interrompit nos calmes activités. Nous avons couru sur les lieux du sinistre. Marco avait imaginé, pour voir fonctionner en vrai la machine, et en l’absence de tissu, de suggérer à Puce…de glisser son index sous l’aiguille !...Puis ayant abaissé le pied de biche, il était grimpé sur le pédalier et de la main droite il avait lancé la roue démarrant le mécanisme…et l’aiguille vivement activée, de transpercer le doigt de notre sœur !

C’est dans cette posture que nous les avons découverts. Evidemment la plaie saignait déjà. Marie était sensible et tout cela lui portait au coeur. Les hurlements de Puce en rajoutaient. Il fallut se rendre à l’évidence le doigt était littéralement cloué sur la machine. Marie déclara forfait et c’est moi, en fermant les yeux, qui dus le faire, accompagnée des cris perçants de Puce. Enfin libérée, sanglotante, elle se laissa consoler par Marissou, tandis que je lui faisais un pansement.

Marco épongeait les traces de sang sur la Singer, et faisait tourner son imagination fertile à cent à l’heure pour préparer des explications aux parents… Mais ceux-ci rentrés tardivement, ne furent mis au courant que le lendemain. Marco se fit « sonner les cloches » sérieusement ; la blessée, co-participante vu son état ne fut que sermonnée !


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