Les contes de Mamé

 


Une aventure muette



Un matin alors que nous avions quelques escapades en tête mon frère Marco et moi sans notre petite sœur « la Puce » qui était trop jeune, on nous obligea à l’emmener avec nous. Furieux, nous sommes partis ventre à terre vers la colline, Puce à la traîne qui chouinait « attendez-moi » au bout d’un moment, elle ne se manifesta plus se contentant de suivre en décalage.

Arrivés là-haut nous nous sommes livrés à quelques occupations de routine telles que manger des mûres bien noires et juteuses, qui nous laissaient les dents dominos, noires et blanches, puis d’une cartouche vide de fusil de chasse, à plat ventre dans l’herbe, avec une tige de graminée nous chatouillions un grillon dans son trou l’amenant à sortir droit dans la cartouche placée devant son « terrier » Ensuite nous le mettions dans une boîte garnie d’herbe. Plus tard la bestiole était relâchée par nos soins près de la maison, nous aimions les « cricris ».

Tandis que nous vaquions ainsi, Puce s’était assise un peu à l’écart dans une touffe de saponaire. Elle tripotait des menues choses et cueillait des fleurs.

A un moment, je lui demandai ce qu’elle faisait… silence… j’ajoutai « ne boude pas…que fais-tu ?» silence, Marco intervint et s’enquit le ton vif « Alors, Puce, tu réponds ! qu’est-ce que tu fabriques ? » silence, alors Marco et moi, nous nous sommes avancés vers elle, pour voir ce qui se passait.

Nous l’avons un peu secouée « enfin, quoi tu dors ?! » « réponds » silence silencieux ! nous avons commencé à nous inquiéter… « Puce, à la fin, qu’est-ce que tu as ? tu as mal ? tu as mangé quelque chose ? tu t’es fait piquer ? ouvre la bouche, montre tes oreilles, baisse tes socquettes » traduction = nous étions périodiquement mis en garde par les adultes contre les jolies baies poison, les morsures des vipères, et les méfaits des cure-oreilles parmi les gosses, il se répétait des histoires absurdes de forficules s’introduisant dans le corps par les oreilles.

Enfin en proie aux affres de l’incertitude nous pressions Puce de questions. Mais cette dernière nous fixait le regard vide et ne pipait mot. Avisant les fleurs de saponaire, brusquement nous nous sommes écriés « mon Dieu, elle a dû en manger ! il doit y avoir un toxique qui paralyse la langue ! ».

Nous entendions souvent des interdits de Papa au sujet de médicaments dangereux dans son cabinet de consultation et que nous ne devions jamais toucher, sans parler des magnifiques fleurs de digitales abondantes en Corrèze,  mais vénéneuses.

Après nous être concernés, nous avons décidé de rentrer au plus vite, ne sachant ce qui pouvait encore se passer. Avec précaution nous avons fait asseoir Puce sur nos mains entrelacées en chaise et l’avons ainsi portée jusqu’à la maison. Pourquoi ? Parce qu’en cas d’empoisonnement ou piqure venimeuse on avait entendu : pas d’agitation, le repos.

Et Puce de se laisser royalement transporter, tandis que Marco et moi allions suant et soufflant pour la ramener. Tout en cheminant, nous faisions des essais pour voir si sa mutité persistait « Puce, ouvre au moins la bouche, dis « aaa ». Elle ouvrait la bouche, mais pas un son n’en sortait.

C’est découragés et anxieux que nous sommes arrivés à la maison, tandis que Marco allait faire diversion auprès de notre nounou Marissou, j’entrainais Puce en douce vers notre chambre. Notre plan était simple, éviter les parents et attendre en espérant que cela irait mieux le soir ou le lendemain.

Nous avons déployé des trésors d’imagination pour tout dissimuler. Nous avons parlé pour trois et enfin dans nos lits le soir, nous avons poussé un soupir de soulagement, demain était un autre jour, on verrait bien. Notre nuit a été peuplée de cauchemars horribles dus à notre mauvaise conscience.

Le matin au réveil, Marissou est arrivée en s’adressant à notre sœur « eh ! bien, ma Puce, j’espère que tu es plus en train qu’hier, sinon j’ai peur que tu nous couves une maladie, il faudrait peut-être te garder à la maison aujourd’hui et prévenir ton Papa »… et là stupeur, notre sœur de dire joyeusement « je vais bien Marie, j’ai pas mal ».

Quelle délicieuse impression, Puce parlait.

Quand Marissou est sortie, nous nous sommes précipités vers Puce « mais, enfin tu parles de nouveau, qu’est-ce que tu avais ? » « moi, tralala ! rien du tout ! » « mais tu ne parlais plus » « eh ben ! oui ‘‘exeprès’’ parce que vous avez été méchants, vous vouliez me laisser toute seule !»…


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