LA WEHRMACHT
(mai 1943 - mai 1944)
 
 
Démobilisé début mai nous reçûmes notre ordre d'incorporation pour la fin du mois. J'avais envisagé sérieusement de m'évader en Espagne mais la déportation en Pologne de toute une famille que je connaissais parce que leur fils s'était soustrait au service militaire, me fit renoncer à mon projet. Je ne pouvais prendre une telle responsabilité envers mes parents. Par ailleurs, inconscient et plein d'illusions quand on a dix-sept ans, j'étais persuadé de revenir sain et sauf.

Me voilà donc à Erlangen, jolie petite ville de Bavière, affecté à la 41ème division motorisée pour une instruction de trois mois comme "Panzergrenadier" Ce sont ceux qui lors de l'attaque marchent derrière les chars pour nettoyer le terrain: casse-pipe assuré.

Après la première phase de l'instruction lors de nos permissions de minuit, nous nous retrouvions entre alsaciens dans un charmant bistrot "Zum König Otto", un peu suranné, mais qui disposait d'un piano, lui aussi fatigué, et sur lequel notre ami Fritz Schnepp s'escrimait pour notre plus grand plaisir, surtout quand entre des airs politiquement corrects, il arrivait à glisser des airs de chez nous.

Fritz Schnepp était notre aîné, classe 14, professeur de grec et de latin, un intellectuel pur, très maladroit dans ses gestes, il fut le souffre-douleur des instructeurs.

Lors de ces soirées, malgré les menaces qui pesaient sur nous, la vie reprenait le dessus, l'ambiance était à l'insouciance, aux astuces, aux bons mots, et quelques fois à la tendre évocations de nos amourettes abandonnées au pays.

Nos camarades restés en Alsace, assistés de nos petites amies, éditaient un journal ronéotypé donnant des nouvelles de nos condisciples engagés sur les différents fronts. On y annonçait aussi les noms de ceux qui nous avaient quittés.

La fin de l'instruction approchait et avec elle le spectre du front.

Souffrant d'angines multiples dans la vie civile, j'en ai cultivé l'éclosion et l'entretien à l'armée. C'est ainsi que je réussis, avec quelques artifices à me faire admettre dans une section d'isolement pour cause de maladie contagieuse. Pendant ces six semaines de répit, mon unité est partie sur le front. J'étais momentanément sauvé.

Après une permission de convalescence dont je bénéficiais à la sortie de l'hôpital, je retrouvais mon unité, mais dans la section des inaptes pour le front, c'était inespéré. J'y ai passé plusieurs mois en compagnie des blessés non récupérables pour le front mais encore valides pour certaines tâches.

Ce répit ne dura pas, je fut repéré par un sous-officier zélé... lors d'un de mes nombreux séjours à l'infirmerie. Je le vois encore au pied de mon lit, vitupérant qu'il avait débusqué un traître à la patrie et que j'allais voir ce que j'allais voir, et entre autre m'envoyer illico au front. Sentant que le vent avait tourné, je plaidais ma constitution fragile, les suites d'une "scarlatine catastrophique" et surtout que je n'avais pas l'instruction suffisante et ainsi une chance de m'en sortir.

Je l'ai convaincu, et après une permission de convalescence, je fus envoyé à Prague dans une unité pour parfaire mon instruction. À mon arrivée début de l'année 1944 la situation y était confuse.

Le Gauleiter, l'Obergruppenführer SS Heydrich était tombé sous les balles de la résistance tchèque, les représailles étaient féroces. Dans l'escalade qui s'ensuivit tout soldat allemand, y compris le 2ème classe, considéré jusqu'à présent comme insignifiant, était en danger de se faire descendre. Nous devions rester en petits groupes aux sorties du dimanche.

Malgré ces consignes, lors d'un de mes retours à la caserne en revenant de chez le dentiste, je fus tenté par un film. Au moment où j'entrai dans la salle on passait un court- métrage. À l'entracte, je devins petit à petit la cible de tous les regards qui n'étaient pas très amicaux. Il y avait urgence à quitter la salle tant qu'elle était éclairée.

Nous avions deux à trois heures de pratique journalière sur les transmissions, étude du morse, chiffrage, mise en place de lignes téléphoniques etc... j'étais assez doué et devint rapidement un des meilleurs opérateurs, non sans raisons car je pensais en profiter pour trouver une faille. Peut-être devenir instructeur mais rien n'y fit, d'autant plus que ma mauvaise réputation d'alsacien rebelle m'avait suivi jusqu'à Prague.

Début avril mon instruction était terminée, je bénéficiai d'une permission de quinze jours, comme tous ceux qui vont partir pour le front.

Cette permission fut sinistre, une sorte d'enterrement où celui qu'on enterrait n'était pas encore décédé. Je repartis avec un moral au plus bas.

      © France TARDON/APPRILL