Les contes de Mamé

 


Maxigris le terrible



Un jour de décembre, environ une semaine avant Noël, Mamé a entendu des miaulements terribles. En regardant d’où cela venait, elle a aperçu un grand chat sur le rebord de la fenêtre de la cuisine.

A travers les rideaux il a vu arriver Mamé et a miaulé de plus bel. Il poussait des cris aussi forts que les mouettes au bord de la mer : terribles ! Nous avions déjà petit Kof et Mamé n’avait pas envie d’avoir encore un autre chat. C’était un grand chat gris, il n’était pas maigre, mais continuait à hurler en courant d’une fenêtre à l’autre tout autour du rez-de-chaussée, grattant aux portes pour se faire ouvrir.

Mamé a pensé qu’il venait d’une des fermes du village où il y a de nombreux chats. A force de l’entendre se lamenter, prise de pitié, Mamé a réussi à lui envoyer de la nourriture dehors sur la terrasse. Il a dévoré. Et c’est ainsi que pendant trois jours il a fait le siège de la maison durant des heures miaulant à fendre l’âme.

Là-dessus, il s’est mis à geler à -14°. Et ce chat finalement semblait ne pas savoir où aller. Nous avons commencé à penser que quelqu’un s’en était peut-être débarrassé en le perdant volontairement. Apitoyée par ces circonstances possibles, Mamé a cédé et ouvert la porte au chat qui a foncé à toutes pattes à l’intérieur. Il a alors commencé à frotter son museau un peu partout, pour se rassurer en y mettant son odeur.

Ensuite il a vu l’écuelle de petit Kof et l’a vidée en trois coups de langue, réclamant encore à manger. Un moment après, repu ayant reconnu les lieux, il a choisi un fauteuil du salon et s’est couché, compact et bien rangé.

En l’observant de plus près Mamé a remarqué qu’il avait une fourrure spéciale, un épais duvet gris en-dessous de poils plus longs gris fonçé avec un reflet bleu argenté. Les jours suivants Maxigris resta à la maison, refusant de sortir, sans doute méfiant, de peur de ne plus pouvoir rentrer ! Il se montrait gentil, discret, évitant petit Kof qui lui, soufflait et grognait contre l’envahisseur.

Mamé observa que s’il avait toujours faim, par contre il semblait avoir du mal à avaler. Il fallut le conduire chez le vétérinaire, il avait un abcès et a eu des antibiotiques. A cette occasion nous avons appris que c’était un chartreux et qu’il semblait avoir subi un traumatisme.

Les recherches pour retrouver ses maîtres restant vaines…nous l’avons gardé !

Les premiers temps il s’est montré gentil, charmeur, tolérant. Il se laissait caresser. Respectait l’écuelle de petit Kof, se contentant de la sienne. Il ne contestait pas sa place d’ancien à Kof. Un chat modèle !

Il avait quelque chose de spécial…ce chat était presque invisible ! Gris comme l’ombre, il disparaissait dans son ombre ! Pour attendre qu’on lui donne à manger, pour entrer, sortir, se faufiler d’une pièce à l’autre, on ne le voyait pas. Même en faisant très attention il arrivait presque par magie à passer inaperçu. Il était toujours assis à l’ombre d’un meuble, sans bouger, ou dans les zones peu éclairées, quand on ouvrait une porte il se glissait dans nos pieds rapide et silencieux, pas le temps de le voir. Il aimait beaucoup se coucher en rond sur la chaise de bureau recouverte de tissu gris anthracite où il était invisible. On l’oubliait mais lui ne dormait que d’un œil, observant tout.

Après quelques temps l’animal a bien compris qu’il s’était trouvé une famille d’adoption. Alors changement total de comportement ! Maxigris a voulu être le chef et a commencé à attaquer petit Kof dès qu’il croyait qu’on ne le voyait pas. Cela lui a valu quelques tapes avec un journal. Il se sauvait vite et recommençait à la première occasion. En plus très mécontent, il refusait que Mamé le caresse plus tard car c’est surtout elle qui le surprenait lors de ses méchants coups de griffes à Kof. Monsieur le matou grognait contre Mamé et ne se montrait gentil que pour obtenir à manger.

Au bout de quelques temps il s’est mis à disparaître pendant des heures dans la journée et rentrant tard le soir. Nous étions intrigués. Ce sont nos voisins Bernard et Annie qui nous ont fourni la clé du mystère. Monsieur le Maxigris mécontent de ne pas être le roi chez nous, avait été faire sa comédie chez eux.

Comme ils n’avaient pas d’animaux Maxigris les avait amadoués et avait ainsi une deuxième maison où il était le pacha. Annie lui parlait gentiment, lui réservait quelques petites bouchées de gourmandises pour chat. Maxigris passait des heures allongé sur le canapé de leur salon. Quand le voisin s’asseyait, il se précipitait sur ses genoux et se couchait de tout son long ronronnant comme une locomotive, avec les yeux mi-clos en extase.

Pour éviter qu’il ne s’installe tout à fait chez eux, ils ne le nourrissaient pas vraiment. C’est ainsi que cet éternel affamé arrivait à toutes pattes chez nous, poussant ses cris de mouette pour avoir à manger. Très difficile en plus, ne finissant pas ce qu’il avait laissé deux heures avant, que du tout frais pour monsieur. Et le soir une petite ration de viande crue.

Ensuite selon ses humeurs il repartait tout de suite à côté ou daignait faire une petite sieste chez nous. C’est d’ailleurs à ces moments là, qu’il en profitait en se faisant oublier pour guetter petit Kof en douce et l’attaquer au passage.

Maxigris semblait avoir des ressorts sous les pattes tant il courait légèrement. Il était d’une rapidité incroyable pour chasser. Plus une souris à l’horizon, le seul qui l’a rendu enragé c’est un bel écureuil roux qui avait fait son nid derrière les volets entre-ouverts d’une fenêtre au premier étage de l’annexe.

Squirry, l’écureuil avait empilé branchages, feuilles mortes, mousse sur le rebord de la fenêtre pour faire son nid. Il hivernait là à l’abri du froid, de la pluie et de la neige. Lorsque le temps se réchauffait, il passait la tête dehors et parfois le chat en-dessous le voyait. Alors là Maxigris était dans tous ses états, il a cherché et cherché comment escalader la façade, ou trouver un moyen d’attraper Squirry s’il descendait. Mais l’autre était malin, de la fenêtre il sautait sur un arbre tout près et ensuite sur la gouttière avant de courir jusqu’en haut du toit.

De là-haut il narguait le chat et à la saison des noisettes lui envoyait sur la tête les coquilles des noisettes qu’il croquait. Ensuite il volait dans les airs en passant d’arbre en arbre. Maxigris grimpait à toute allure en haut des grands arbres mais l’écureuil était déjà plus loin. Le chat dépité sautait de plusieurs mètres de hauteur pour redescendre plus vite. C’était un vrai athlète, quand on le portait il était lourd et dense, tout musclé.

Avec lui nous n’avons plus vu d’autres chats traverser notre jardin ! Maxigris le terrible défendait son territoire et attention aux matous qui le provoquaient. Il avait de grandes canines et des griffes de chat-tigre qui leur faisaient très mal !

Par contre, il nourrissait une grande affection pour notre voisin. Un jour d’été je l’avais aperçu se prélassant étendu sur la terrasse du premier étage de l’annexe quand tout à coup je l’ai vu dégringoler l’escalier rapide comme une flèche, traverser à toute allure la pelouse puis la haie avant de s’arrêter dans l’allée des voisins. J’étais en train de me demander pourquoi… quand peu après j’ai entendu le moteur de la voiture de nos amis.

Ce coquin de chat à moitié endormi sur la terrasse avait reconnu le bruit du moteur à l’entrée du village parmi tous les bruits. Quand Bernard est sorti du véhicule Maxigris s’est précipité vers lui, lui faisant de grandes démonstrations d’amitié et le suivant immédiatement pour renter avec lui dans son paradis du chat-roi.

Et c’est ainsi que Maxigris le chat couleur de l’ombre a organisé sa vie jour après jour entre les deux maisons profitant avec malice de tous les avantages de cette situation.


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